Source Le Télégramme de Brest. Pratique d’hier (Tome VI ): Défense passive en Finistère (1939-1945), Roland Bohn et Joël Le Bras, édité à compte d’auteur.
Après la fin de la bataille de Brest, le 18 septembre 1944, les rues du centre-ville brestois sont remplies de gravats. Parmi les rares bâtiments encore debout, on trouve, rue de Siam, l’ancien immeuble du magasin Monoprix. À l’automne 1944, il est intégré au réseau de cuisines d’entraide des Auxiliaires de la défense passive (ADP) pour nourrir les réfugiés et travailleurs brestois.
La survie des populations civiles
Au 54, rue de Siam, l’immeuble Monoprix a vaillamment résisté aux incendies, mais seuls le rez-de-chaussée et une partie du premier étage subsistent. « Il y avait des gravats absolument partout », se souvient Jeanne Romeur. En octobre 1945, la jeune fille de 15 ans étudie en seconde au lycée de l’Harteloire. Elle se rend chaque midi à la 10e Cuisine d’entraide. Dans la mémoire de la nonagénaire, « ce n’était pas de la bonne cuisine, mais je me souviens des pâtes à la sauce tomate et du ragoût. C’était tout à fait convenable ».
Les plats arrivent sur la table grâce à l’investissement des Auxiliaires de la défense passive (ADP). Ils mènent plusieurs types d’actions pour protéger les populations civiles, notamment les cuisines ADP, rapidement renommées cuisines d’entraide. Les cuisines ADP fonctionnent selon un système de tickets, échangés contre des denrées.
« Les Restos du cœur de l’époque »
Le chroniqueur Joël Le Bras, lui-même réfugié en Sarthe (72) avec sa mère pendant la guerre, a très bien connu Mathilde Montfort-Menez, qui a travaillé à la cuisine d’entraide du Monoprix. « Elle accueillait des sinistrés qui venaient constater l’état de leur logement, mais aussi les premiers ouvriers de la démolition », raconte-il. « Les ADP peuvent être considérés comme les Restos du cœur de l’époque ». Selon l’historien Olivier Polard, la 10e Cuisine d’entraide a aussi « sans doute servi aux 600 soldats allemands chargés de déblayer la ville ».
C’est un changement total de fonction pour le bâtiment qui accueillait auparavant un magasin inauguré en grande pompe en 1934. En mai 1944, les vendeuses organisent un spectacle place de la Liberté afin de collecter des fonds pour les réfugiés. Jusqu’à l’été 1944, le Monoprix ouvre ses portes à une clientèle issue de la classe moyenne. « La guerre est une parenthèse d’une dizaine d’années dans une période très joyeuse », rappelle Olivier Polard. « Ce genre de magasins incarne la modernité, d’où un engouement certain à l’époque ». Sa structure en béton armé l’a en partie protégé de la destruction.
Après les bombardements, en septembre 1944, le décor est tout autre. Une décision de la nouvelle municipalité prive les ADP d’une fourniture régulière en eau, qu’on doit aller chercher au puits. Sans gaz et sans électricité, la cuisine est installée « de bric et de broc », d’après Joël Le Bras. « Les ADP reçoivent des subsides mais pas suffisamment. Ils se débrouillent pour se ravitailler en dehors de la ville, à leurs risques et périls ». Vers 1946, la cuisine ADP sera ensuite déplacée loin du centre-ville, place Aristide-Briand, près de l’actuelle place Albert Ier. Le Monoprix sera ensuite détruit pour construire l’actuel alignement de bâtiments de la rue de Siam. À partir de 1946, les Brestois devront se rendre aux baraques de la cité commerciale pour faire leurs achats chez Monoprix.