Quand l’Émile Miguet était le plus grand pétrolier du monde

Source de l’article le Télégramme de Brest

Jean-Yves Brouard.

Le pétrolier Émile Miguet à son lancement, à Dunkerque (Nord) le 12 avril 1937 Photo DR



Le Lancement l’Émile Miguet fut le plus grand du monde, à son lancement en 1937. Mais il a mal terminé sa carrière.
176 mètres de long et 22,5 m de large : le pétrolier Émile Miguet est un géant pour l’époque. (Photo Collection Michel Mathieu)

Le lancement du pétrolier Émile Miguet, à Dunkerque, jalonne la course au gigantisme, commencée dès le début de l’entre-deux-guerres, dans la conception des navires citernes. La demande de produits extraits des champs pétrolifères du Moyen-Orient, de la mer Noire et du pourtour du golfe du Mexique explose après le premier conflit mondial. Et, pendant des décennies, la France sera d’ailleurs toujours à la pointe de la technologie dans la construction des transporteurs de brut. Cela commence en 1922, avec le premier pétrolier « géant », le Saint Boniface. Dans les années 1930, arrivent un deuxième record de taille (mise en service du Marguerite Finaly), puis un troisième, avec l’Émile Miguet, destiné, lui, à étoffer la flotte de la Compagnie navale des Pétroles (CNP).

Le plus grand tanker d’Europe

C’est Madame Miguet, veuve d’un ancien directeur de la Compagnie française de raffinage, filiale de la CNP, qui baptise le navire le 12 avril 1937, aux Ateliers et Chantiers de France. Le pétrolier est tellement imposant – pour l’époque -, avec ses 176 mètres de long et ses 9,75 mètres de tirant d’eau, que seul le port du Havre peut l’accueillir (aux appontements pétroliers de la Compagnie industrielle et maritime). Il est le plus grand tanker d’Europe. Le Journal de la Marine marchande de l’époque s’enthousiasme : « Sa prochaine mise en service apportera une contribution appréciable au rayonnement de la France à travers le monde ».

C’est aussi le pétrolier le plus moderne, doté d’aménagements confortables et, en particulier, de systèmes de protection contre les incendies, la hantise des équipages depuis que plusieurs drames spectaculaires ont frappé les esprits, les années précédentes. La loi du 16 juin 1933 impose qu’à bord, soit également prévu un hôpital complètement isolé, ainsi qu’une cabine pour un infirmier. Livré fin mai 1937, le navire entame ses voyages : il en effectuera 22, avec peu d’anicroches, sinon un heurt assez violent, le 5 mars 1938, contre la porte d’entrée du bassin de Saint-Nazaire, qui occasionne quelques dégâts tant au navire qu’à la porte elle-même…

« Mais un sous – marin allemand rôde: l’U-48 du Korvettenkapitän Herbert Schultze. Soudain, en fin d’après – midi, le sous marin attaque au canon, à plusieurs reprises ».

Sur cette photo prise depuis le cargo sauveteur Président Hardling, le pétrolier Émile Miguet en feu, le 13 octobre 1939, au lendemain de son torpillage. (Photo DR)

Sous-marin allemand

L’Émile Miguet n’effectuera pas davantage de navigations, car il deviendra tristement célèbre avec un autre record dont il se serait bien passé. Un autre conflit – la Seconde Guerre mondiale, cette fois – éclate en septembre 1939. Le pétrolier est alors à Corpus Christi (Texas) et doit revenir en France avec un nouveau chargement complet. Mais les conditions des voyages ont désormais changé. En raison des risques dus à la guerre, les navires marchands doivent se rassembler en convois protégés par des escorteurs. Ceci ralentit certains d’entre eux, car, pour rester groupés, il faut adapter la vitesse des plus rapides, comme l’Émile Miguet justement, à celle des plus lents ou des plus fatigués.

Parti, le 17 septembre 1939, de Corpus Christi, l’Émile Miguet semble se traîner au milieu de son convoi où, hasard des circonstances, a pris place le Marguerite Finaly, cité plus haut. Un événement vient perturber la traversée : un mini-ouragan souffle sur l’Atlantique nord. La mer est grosse, les navires gouvernent mal. Le commandant du pétrolier, Robert Andrade, doit différencier les deux hélices et, bientôt, le 6 octobre, sous les rafales violentes et les grains, se mettre à la cape, pour sauvegarder ses embarcations. Les autres navires se dispersent, se perdent de vue.

Avec ses deux moteurs diesel capables de le propulser à 14 nœuds, l’Émile Miguet peut reprendre le voyage, seul. Le commandant, impatient de livrer ses 20 000 tonnes de pétrole, est sûr de lui grâce à la vitesse de son navire. Le 12 octobre, ce dernier se trouve à 500 milles devant le convoi et à 300 milles de la pointe sud-est de l’Angleterre. Mais un sous-marin allemand rôde : l’U-48 du Korvettenkapitän Herbert Schultze. Soudain, en fin d’après-midi, le sous-marin attaque au canon, à plusieurs reprises. Un des obus atteint le poste tribord arrière et tue un jeune marin de 18 ans, Joseph Le Maou, littéralement coupé en deux. Le novice meurt pratiquement dans les bras du second capitaine, Léon Caron.

Le commandant Andrade ordonne l’abandon de son navire, que le sous-marin torpille peu après pour achever le travail. L’Émile Miguet reste à flot toute la nuit et le lendemain, puis prend feu. L’équipage, qui avait pris place dans les embarcations de sauvetage en état, sera recueilli par un navire allié de passage. Le record de l’Émile Miguet à cette occasion ? C’est le premier pétrolier torpillé de toute la guerre 1939-1945.

Une fois la paix revenue, la Compagnie navale des Pétroles lancera de nouveaux pétroliers, dont un qu’elle baptisera Novice Le Maou, en hommage au malheureux jeune marin breton.

     

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