L’école ST Yves en baraques
Jusqu’à la guerre 1940, Le Bouguen était un vaste plateau très boisé, entouré de douves et de fortifications. La prison de Brest dominait le versant sud-est et, dans beaucoup de cerveaux, le Bouguen était synonyme de prison. Pour les Brestois, c’était le but de promenades du dimanche et des jours fériés. La troupe écolière aimait y prendre ses ébats et y organisait des grands jeux. Les bombardements, le siège de Brest, ouragan de fer et de feu, firent de ce riant plateau un vaste champ labouré par les obus et les bombes ; laissant émerger quelques arbres décapités, des troncs déracinés ou calcinés. De ce triste plateau dévasté, Dieu fit surgir une immense cité de baraques que domine une église en bois d’où s’échappent chaque dimanche, par des diffuseurs électroniques, les carillons de Notre Dame de Paris, Saint Pierre de Rome en caleat etc. . … Église, presbytère, baraques à perte de vue forment ce quartier bien vivant et fort sympathique. Mais les Brestois ne sont pas gens à rester en chemin. Un groupe de familles chrétiennes, désireuses de donner à leurs petits l’éducation de leur choix, insistèrent auprès de monsieur l’abbé Le Menn, recteur du Bouguen, pour avoir leur école. L’idée était louable, certes, mais un peu prématurée et audacieuse. La paroisse sortait à peine de terre, l’église était pauvre, froide, nue, sans mobilier, sans ornements ; les salles d’œuvres faisaient totalement défaut, et aucune ressource pour améliorer la situation.
Cependant, le groupe de familles catholiques, tenaces et confiantes, persistait dans ses idées. Monsieur le recteur multiplia les démarches près des propriétaires avoisinants, harcela l’évêché et la congrégation des Filles du Saint Esprit. Monsieur le recteur ne se tint pas pour battu. Il fit le voyage de Saint-Brieuc pour plaider sa cause, sollicita monseigneur Fauvel, récemment arrivé à Quimper, pour intervenir directement auprès de la révérende mère générale Saint Melaine. Il fit tant et si bien que, le 26 septembre 1947, sœur Saint-Edouard, placée à Sainte-Anne de Brest, fut désignée par la maison mère pour s’occuper des catéchismes, lancer le patronage et préparer la fondation de l’école. Ici encore nombreuses complications, mais, le premier jalon est posé, les autres suivront envers et contre tout. Le terrain fut long et difficile à trouver. Enfin, le 19 janvier 1948, grande allégresse, acquisition par monsieur le recteur, d’un champ appartenant à monsieur Bellec de Kermenguy. Il s’agit, à présent, de songer à l’école. Construire ? Impossible faute de ressources. Monsieur le recteur cherchait, s’informait sur les baraques à vendre, faisait démarches sur démarches auprès de la reconstruction de Brest. En avril, monsieur Picquemal lui accorda une baraque (soit disant neuve) pour les classes. Monsieur le recteur, très connaisseur, jugea la baraque tout juste bonne pour un préau et une cantine. Il continua ses recherches. En mai, il eut connaissance d’une baraque allemande, en vente à la caserne Fautras à Brest. Il dépêcha un entrepreneur pour la visiter faire estimer sa valeur. En moins de deux jours le marché fut conclu. Cette baraque mesurait 22 mètres de long sur 12 mètres de large. Bien conditionnée avec double cloison et isolant, elle servirait de classes. Restait à découvrir une baraque pour la communauté. (…) La reconstruction accorda facilement les autorisations exigées. La mairie refusa net, le droit de créer une école au Bouguen. Qu’à cela ne tienne : de concert avec l’inspection diocésaine et la congrégation des Filles du Saint Esprit, monsieur le recteur soumit à la mairie, le transfert de l’école Saint Yves de la rue Emile Zola, complètement détruite par la guerre, sur le plateau du Bouguen. La mairie ne pouvait refuser, mais traîna pour donner son adhésion. Pour gagner du temps, monsieur le recteur fit commencer les travaux de fondation, dès début juin, et multiplia pendant ce temps les démarches auprès des autorités municipales. Le transfert accordé, deux entreprises prirent en main les travaux : l’une, les classes, l’autre, la communauté. Tout allait bien ; les baraques prenaient forme, panneaux extérieurs, charpentes étaient posés. Les ouvriers commençaient la distribution intérieure. Vers la mi – juillet un mot de la mairie donna ordre d’arrêter les travaux de l’école, sous prétexte que les constructions n’étaient pas à 5 mètres de la route (il n’y avait pas de route, mais simplement un sentier formé par les passants à la lisière du champ où se montaient les baraques). La construction était faite à 3 mètres de cette limite. Monsieur le recteur insista, fit valoir. Le conseil municipal ne transigea pas. Après une séance très houleuse, un des conseillers déclara : « La République est en danger si nous laissons une école libre s’ouvrir au Bouguen ».
Ecole commencée en 1948 Août 1960
Bénédiction de la classe construite par les parents
Classe en dur, bâti par les parents en 1960
Les travaux cessèrent ; monsieur l’inspecteur Rannou conseillait de passer outre, et de continuer les travaux ; d’autres, moins audacieux, jugeaient qu’il était préférable de se mettre en règle et, monsieur le recteur craignant que son école n’eût pas le droit de fonctionner opta pour la deuxième solution, ordonna de démolir les baraques et de reculer de deux mètres toutes les fondations des classes. (…). Les ouvriers furent admirables de courage ; il travaillèrent au delà des heures réglementaires, sacrifièrent leurs samedis et quelques-uns même leurs congés payés. Tant et si bien que, pour le 28 août, la baraque classe est terminée, la cour nivelée. La déclaration pouvait se faire, mais la maison – mère n’avait pas encore fait son choix de directrice : nouvelle inquiétude. Enfin, après maintes et maintes supplications auprès de notre Mère Générale et de la directrice des études, soeur Saint-Edouard obtint le dossier de la nouvelle directrice : soeur Anne Marie Vincente. Pour hâter sa déposition et son acceptation, sœur Saint-Edouard fit le voyage à Quimper pour remettre le dossier à monsieur le chanoine Le Ster qui devait faire le nécessaire auprès de l’inspecteur d’académie.
Communauté F. S. E
Septembre se passe en nettoyage, démarches et attente du fameux récépissé pour droit d’ouverture. Daté du 8 septembre l’ouverture fut décidée pour le 8 octobre (…) 1949 Mai : défilé des écoles de Brest. La petite école du Bouguen ne veut pas rester en arrière, des pères de famille et amis de l’école décidèrent de construire un bateau pour contenir les moins de cinq ans qui ne participaient pas au défilé. L’idée était audacieuse. La paroisse du Bouguen était jeune, son dynamisme communicatif et bientôt l’élégante vedette de 7 mètres prit forme sous les mains habiles des artistes (Messieurs Piriou et Laurent). Une soixantaine de petits marins de 2 à 5 ans, sous l’œil vigilant du commandant Pierrick (4 ans), crânèrent dans les rues de Brest dans le « Notre Dame du Bouguen », au milieu des applaudissements de la foule. La première année scolaire s’acheva par l’exposition des travaux manuels des 250 enfants de 2 à 8 ans. A la rentrée d’octobre, les classes s’avéraient déjà trop petites. A la première réunion de parents en novembre un comité .A.P.E.L. était formé, et l’idée d’agrandissement discutée, non sans jeter quelques remous dans l’assistance. Agrandir, c’est très bien mais comment faire.
Ecole St Yves du Bouguen 1948/1962
Ecole St Yves char des petits
Ecole St Yves partie 2 du char
Ecole St Yves partie 1 du Char des petits
Monsieur le recteur déclara sans ambages qu’il ne pourrait assumer la charge, ayant déjà trop de dettes sur sa paroisse, et que, penser à bâtir en dur était chose irréalisable. Un père de famille hasarda alors, qu’en faisant des briques soi – même, on parviendrait à diminuer les frais de construction. L’idée fut jugée ingénieuse et retenue sur le champ. Tout le monde fut d’accord pour faire des briques et la séance fut levée dans un certain enthousiasme .En fait de briques, on ne vit rien sortir du moule. Par contre, on vit autre chose de plus important, de plus prodigieux, sortir de l’esprit et du cœur et des mains des parents de l’école : une belle construction de 22,50 m.* 12,50 m., au profil net et robuste, aux ouvertures larges, aux plafonds élevés, largement aéré et ensoleillé, avec une armature de béton assez solide pour soutenir deux étages : édifice qui sera d’autant plus cher aux familles et aux enfants, qu’il aura été construit par elles-mêmes et pour eux. « vous respecterez ces nouvelles classes, vous les aimerez ; ce sont vos papas qui les ont bâties » dira, non sans émotion, M. Abgrall, aux petits enfants rangés devant lui, le jour de la bénédiction. En 1950, l’école comptait 8 classes, en baraques, 4 en dur .En 1954, les élèves augmentaient, les deux plus grandes classes en dur sont coupées par une cloison d’isorel. En 1955, achat de 14 tables modernes pour la 7ème que l’on vient de créer pour décharger la classe du C.E.P.
Ecole St Yves du Bouguen 1948/1962
Ecole St Yves défilé rue Jean Jaurès
L’école St Yves vers 1963 la cantine
L’école en 1948, l’école d’hier
En 1960, en août, la cité de Kerbernier laissant prévoir une affluence d’enfants, deux baraques sont données par le M.R. L. Deux équipes de papas les démontent au lycée de Brest et les remontent au bout du patronage. Pour meubler l’une de ces classes on achète à nouveau 21 tables, un bureau et une chaise. En mars 1961 toutes les classes sont pleines, il faut encore monter une baraque. Le M.R.L. toujours complaisant, les papas aussi, la nouvelle classe est prête pour la rentrée du 7 avril. L’école compte alors 13 classes.(…) Année 1962-1963. C’est une année marquante dans la vie de l’école. Déménagements et aménagements se succèdent jusqu’à l’installation définitive dans le nouvel établissement. Au cours du 1er trimestre, les travaux avancent vite. Le 7 janvier, 9 classes sont prêtes pour recevoir le premier contingent des élèves. Rappelons en passant, le dévouement et l’aide très sympathique de papas et de jeunes gens qui, le 24 décembre au matin, sous la neige, et dans un froid mordant, chargent les camions de l’entreprise Pondaven, mis à notre disposition par les Ponts et Chaussées. Il faut faire vite ! Ordre est donné par la ville de libérer une partie des baraques vouées à la démolition pour laisser place à un boulevard.
Avec une pointe de nostalgie nous voyons se vider nos locaux. Les lieux, comme les objets, n’ont-ils pas une âme ?. Et le transfert se fait. Le mobilier s’entasse dans les nouvelles classes. Que de tables transportées, de caisses remuées ! Le soir, nous sommes fourbus. C’est tout de même dans la joie que nous fêtons Noël ! Les jours suivants les ouvriers s’acharnent à nos pauvres baraques et récupèrent portes, fenêtres, toitures. C’est une vision de guerre, accentuée encore par la grisaille du temps durant les semaines et les mois qui vont suivre, car la rigueur de l’hiver immobilise les travaux. La rentrée de Noël faite, nos petits sont rayonnants de joie dans leur école neuve. Mais la cantine est restée aux baraques ! Et durant le reste de l’année il faudra chaque jour, et sous tous les temps, traîner nos bambins vers la soupe chaude de soeur Lucie Marcel. Pâques arrive et c’est le départ des quatre dernières classes vers la rue de Kerbloas. Le bâtiment scolaire a maintenant son étage et les locaux des grands sont prêts à leur tour. Au Bouguen, la vie est devenue calme, quelque peu morne à certains moments. La cour ne résonne plus de joyeux cris d’enfants tandis qu’au (Bois de Sapins) tout s’anime et vit. Une quatorzième classe est ouverte. La ruche est bourdonnante d’activité. Extraits des annales de la communauté. Avec autorisation pour l’association des Anciens du Bouguen, y compris les photos.