« France II », le plus grand voilier du monde

France II
Source le Télégramme de Brest Jean Yves Brouard
France II sous ses voiles

Le cinq-mâts « France II », longtemps le plus grand voilier du monde, a mal terminé sa carrière…

Le voilier géant, immobile pour toujours sur le récif de Goya, en Nouvelle Calédonie, peu après son échouage fatal Photo DR

Certes, trois grands voiliers étrangers auraient pu rivaliser avec le Français France II avant la Première Guerre mondiale. Deux voiliers allemands à cinq mâts : le Preussen et le RC-Rickmers, et un américain à sept mâts : le Thomas W Lawson. Ils sont un peu plus longs que le France II, mais le Preussen est désarmé en 1910, après une collision et un échouage ; le RC-Rickmers se perd en 1914 et le Lawson coule en 1907. De toute façon, le France II a au moins un avantage : sa jauge brute en tonneaux et son port en lourd, nettement supérieurs.

Plus grand voilier du monde pendant 77 ans

Lancé en 1911 et continuant de naviguer pendant la Première guerre et après, le France II conservera le record du plus grand voilier du monde pendant 77 ans, avec sa longueur de 142,2 mètres pour 16,96 mètres de large. Il faudra attendre le français Club Med I, lancé en 1988, à Saint-Nazaire (44), pour voir ce record battu…

C’est l’armateur rouennais Prentout qui lance le projet, en copiant les unités de son concurrent Bordes, et en voulant reproduire l’idée d’un voilier transport de pétrole en fûts, à l’image du Quevilly de sa propre compagnie. Prentout suit de près les plans du futur voilier, en visant l’efficacité technique et en gommant les défauts des prédécesseurs. Il va jusqu’à reprendre le nom de France, qui est celui d’un précédent voilier de Bordes, comme un défi à la compagnie concurrente… Car le France II se nomme en réalité France (nom inscrit sur la coque), mais on lui ajoute habituellement le chiffre « II » pour le distinguer du précédent clipper.

Une caractéristique parmi d’autres : le voilier a deux moteurs et autant d’hélices. Il s’agit d’auxiliaires, car l’armateur profite de l’attribution d’une prime qui encourage les compagnies mettant en œuvre des navires à moteurs – mais le mode de propulsion principal est bien la voile…

Cap sur la Nouvelle-Calédonie

C’est en cours de construction, aux Chantiers et Ateliers de la Gironde, à Bordeaux, que Prentout décide de changer le type de cargaison de son nouveau voilier : fini les fûts de pétrole à fond de cale ; cette fois, le France II ira chercher du nickel en Nouvelle-Calédonie, de l’autre côté de la planète. L’armateur calcule que, pour être rentable, son navire devra parcourir en 80 jours le trajet aller (qui se fait par le cap de Bonne Espérance et l’océan Indien), et le trajet retour en 100 jours (par le cap Horn puis en remontant le long des côtes brésiliennes). Le cinq-mâts transporte aussi des passagers payants, dans un remarquable confort, tant pour les passagers que pour l’équipage. Hélas, il effectuera son premier voyage juste avant la Grande guerre, et le deuxième voyage, peu après le début du conflit. Le navire ne sera pas rentable, en raison des difficultés et des périodes de désarmements dues aux circonstances. La compagnie décide, en 1917, de changer ses trajets et de se tenir à distance, si possible, des zones à risques. Le plus important est de transporter du charbon ou du grain, et d’aller les chercher là où c’est possible, en faisant du « tramping » (voyages en fonction du fret et des ports de chargement).

Un huitième voyage fatal

Après la guerre, le bateau subit quelques transformations, comme la suppression des moteurs et des hélices qui freinent dans l’eau – équipements pourtant utiles dans des cas d’urgence ou lors de circonstances particulières. La paix étant revenue, le fret repart et le France II peut effectuer quelques voyages transatlantiques. Hélas, le huitième voyage du navire depuis sa mise en service lui sera fatal – en effet, le France II n’aura effectué en tout que sept voyages complets, comprenant l’aller et le retour…

Arrivé en Nouvelle-Calédonie en juin 1922, il doit changer de mouillage pour charger du minerai de chrome et de nickel. Le déplacement, navire « lège », se fait à la voile et avec l’assistance d’un remorqueur local. Le temps n’est pas bon : gros nuages noirs, brise, houle… Le voilier doit franchir seul la passe du lagon où on l’attend. Dans la soirée du 12 juillet, tout à coup, le vent tombe tandis que de forts courants poussent le voilier vers les récifs. Or, il n’a plus ses moteurs d’appoint… Dans la nuit (le temps est bouché), à 23 h, il talonne le récif de Goya. Tentant de s’en sortir au fil des heures, il creuse sa propre souille dans laquelle il tombe et s’incline sur le flanc. L’équipage, sain et sauf, rallie la côte à bord des canots.

Les experts, les assureurs et la compagnie conviennent qu’un renflouement est possible, mais coûterait trop cher. L’épave restera là. Alors, tout ce qui est précieux à bord sera revendu à terre ou rapatrié à Bordeaux. Dans l’entre-deux-guerres, des vandales mettront le feu à la coque. À partir de 1942, les Américains venus s’installer en Nouvelle-Calédonie utiliseront l’épave comme cible pour les exercices de leurs pilotes bombardiers.

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