LE BOUGUEN …SOUVENIRS

LE BOUGUEN …Souvenirs ! Qu’avait donc de particulier ce quartier brestois avant que la grande tourmente de 39-45 ne vienne tout bouleverser ? Avec mes souvenirs, je vais essayer de faire ressurgir, avant qu’il ne soit trop tard, un passé qui s’estompe inexorablementjezequel_1 La porte de la Brasserie en 1903. A gauche : l’Harteloire et la rue Portzmoguer, à droite : le plateau du Bouguen et la route du Bouguen, au centre : le mur d’enceinte de la ville, avec sa porte d’accès, qui assurait la continuité des fortifications. Les Fortifications. Partie du Domaine militaire (Ministre de la guerre) elles avaient le profil classique des fortifications de type Vauban et s’étendaient de la vallée du Moulin Poudre Kervallon, s’intégrant ainsi dans l’ensemble fortifié de la ville de Brest, percé d’un certain nombre de portes, dont l’une, la porte Castelnau, se trouvait au Bouguen. Elle a été déplacée, après la guerre, entre la route du Bouguen et la rue de Lille. A l’origine elle était flanquée de part et d’autre d’un corps de garde. La porte elle-même débouchait sur un pont-levis, très tôt disparu et remplacé par une construction fixe, qui se prolongeait, à travers les douves, en direction de Lanrédec, par une chaussée pavée, en surélévation par rapport au fond des douves et bordé de chaque côté par une balustrade métallique. Cette chaussée était supportée, de chaque côté et sur toute sa traversée de la douve, par deux murs en maçonnerie, percés de meurtrières De la porte elle-même, sous la voûte, à droite près de la sortie, un escalier en colimaçon, en larges pierres de tailles, usées profondément par des générations de bidasses, permettait d’accéder directement au fond de la douve.

jezequel2-2Porte Castelnau. Carte postale écrite en 1909

Plus près de la vallée du moulin poudre, à peu près à l’emplacement de l’actuel logement des étudiants, un petit tunnel en pente traversait les remparts et offrait également un accès vers l’extérieur. A partir de l’été 40 ce tunnel, protégé aux extrémités par des chicanes en mottes de terre, fut utilisé comme abri par la population du Bouguen

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Entrée du tunnel conduisant aux douves, avant la construction des chicanes en terre

De nombreux ouvrages militaires complétaient le dispositif de protection constitué par les remparts : un stand de tir semblable à celui situé à proximité du boulevard Plymouth, deux poudrières, l’une aérienne située aux environs de l’entrée de l’actuel stade, l’autre souterraine, non loin de la porte Castelnau, diverses casemates réparties le long des remparts, et une habitation avec jardin clos de murs, servant de logement de fonction au sous-officier de l’armée de terre, chargé de la surveillance des fortifications et que nous nommions ((Gardien de Batterie.))

Au fond d’une excavation de forme carrée creusée près de la porte Castelnau, avait été construit un lavoir de forme carrée. L’ensemble, parois et sol, était entièrement maçonné avec parements en pierre de taille. Il était alimenté en eau par une source très pure dont le captage était aménagé à proximité dans une chambre souterraine maçonnée et voûtée. Ce lavoir doit encore exister, enfoui sous des tonnes de déblais, aux environs de la salle des sports de L’UBO.

Brest a toujours été un grand port militaire. Ce qui est moins connu, c’est que Brest était aussi une importante ville de garnison avec un ou plusieurs régiments d’infanterie coloniale (RIC), cantonnés dans deux casernes : Guépin et Fautras. Les douves des fortifications du Bouguen, propriété de l’armée de terre, étaient le lieu idéal pour y aménager un terrain de manœuvre, dont un ((parcours du combattant)), avec divers obstacles : fossés, murs etc.. C’est ainsi, qu’à la grande joie des gamins du quartier, on assistait de temps en temps au défilé des soldats, se rendant à l’exercice, attaquant vaillamment, fusil sur l’épaule, la côte du Bouguen. A partir de l’été 40 d’autres soldats, vêtus de vert-de-gris, suivirent le même chemin, leur pas rythmé par des chants martiaux à plusieurs voix, se rendant eux aussi dans les douves pour, sans doute, des exercices similaires. La joie était remplacée par l’amertume, et les chants, malgré une qualité indéniable, avaient quelque chose de sinistre qui donnait froid dans le dos. Comme dans toutes les fortifications de type Vauban, au-delà des douves, s’étendait une sorte de petite plaine qui, à l’origine, devait être complètement dénudée, de façon à obliger l’assaillant à attaquer à découvert. Sa limite Nord, correspond l’actuelle limite Nord de l’UBO et du bâtiment des archives. En 1939, cette plaine était devenue un parc ombragé, couvert d’arbres splendides, plantés à distances régulières, ce qui témoigne de l’existence d’une fibre sylvestre (écologique ?) chez les militaires de l’époque. C’était un véritable terrain de loisir populaire pour les Brestois. A la belle saison, on y venait pique-niquer en famille. On choisissait la proximité d’un arbre où une branche basse, suffisamment robuste, permettait d’accrocher la balançoire (escarpolette). Dans le langage populaire, ce lieu d’agrément était appel La Digue .On allait se promener La Digue ! Cette appellation vient, peut-être, du fait qu’une route, qu’on appelait d’ailleurs route de la Digue, longeait cette zone boisée du Moulin Poudre Kervallon et donc débouchait sur la rive gauche de la Penfeld où, à marée haute, les baigneurs n’étaient pas rares, ni les plongeurs qui s’élançaient du haut des passerelles pitonnes. Sur cette rive était garé, dans une sorte de hangar en bois, le fameux canot de l’Empereur, (Napoléon lll), exposé à Paris au Muse de la Marine. Mais ceci n’est plus tout fait Le Bouguen

jezequel4-2Vue de ((La Digue)). En arrière plan, entre les arbres, on distingue Traon-Quizac.

La prison, appellation officielle : Maison d’arrêt.

Lorsque à Brest une personne étrangère au quartier évoquait ((Le Bouguen)), la première image qui venait l’esprit, c’était la prison. Evidemment, en matière d’image de marque, il y a mieux. Quant la population du quartier elle n’en était pas plus affectée que s’il s’était s’agit d’une usine ou d’un bâtiment administratif quelconque. Pour nous, les jeunes, il en émanait comme une atmosphère de mystère mêlée de crainte. Le haut mur d’enceinte en maçonnerie et la porte monumentale qui donnait sur la route du Bouguen y étaient sûrement pour quelque chose

Au-delà du mur, des jardins étaient mis la disposition des gardiens, dont quelques-uns logeaient l’intérieur de la prison. L’ensemble, prison et jardins, occupait l’emplacement de l’actuel stade municipal.La prison fut construite de 1857 1859, en remplacement de l’ancienne geôle qui se trouvait au Château C’était la prison civile, la prison de Pontaniou tant la prison militaire.

Il en fut ainsi jusqu’à l’été 40, moment où l’occupant s’en appropria une partie pour y incarcérer des détenus, qui eux n’étaient pas des droits communs, mais des patriotes ayant dès le début de l’occupation, pris le parti de résister. Il y a tout lieu de penser que, pour certains d’entre eux, leur combat s’acheva à proximité, dans les douves, juste derrière la porte Castelnau, contre une butte de terre, où étaient dressés les poteaux d’exécution. Nous sommes quelques-uns avoir vu ces poteaux ensanglantés déposés à proximité des trous où ils avaient été dressés. Il y a des images qui ne s’effacent jamais. J’imagine souvent ces condamnés, franchissant la porte Castelnau pour se rendre au supplice. Ils la voyaient, peut- être, comme la porte de l’Au- Delà. Décidément, pour moi, la porte Castelnau ne sera jamais un monument comme les autres. Le temps est peut-être venu de la rebaptiser autrement ?

jezequel_5La porte Castelnau (poterne) vue de l’intérieure des douves. Après avoir franchis la voûte, les condamnés descendaient par la rampe de gauche. Les poteaux d’exécution étaient dressés face la butte de terre dont on distingue le début derrière la rampe Dans la nuit du 1er au 2 juillet 1941, une bombe anglaise de forte puissance détruisit la prison, provoquant la mort de sept personnes, dont quatre Allemands. Certains prisonniers réussirent s’enfuir. Un témoin se souvient, alors qu’il se trouvait dans l’abri décrit plus haut, en avoir vu passer pour franchir les fortifications. Je me souviens parfaitement des patrouilles allemandes qui sillonnaient le quartier la recherche des fugitifs.

La prison du Bouguen après le bombardement du 1er juillet 41.

jezequel6Les bombardements anglais débutèrent presque immédiatement après l’arrivée de l’occupant.

Ils étaient plus souvent nocturnes et ciblés sur un objectif précis, avec souvent un résultat décevant La prison comme objectif ? C’était peu vraisemblable. Il me revint en mémoire que quelques jours avant le bombardement, me promenant sur les hauteurs du Bouguen donnant une vue plongeante sur la Penfeld, j’aperçus, sous leurs filets de camouflage, accostés au quai rive gauche, trois sous-marins à couples. A vol d’oiseau la prison se trouvait 2 ou 300 mètres. Etait-ce la véritable cible ? Sans doute, mais ceci n’est qu’une hypothèse. La prison ayant été détruite, les détenus furent transférés dans d’autres établissements pénitentiaires, probablement la prison militaire de Pontaniou en ce qui concerne les politiques. Les exécutions n’en continuèrent pas moins puisqu’on sait qu’en 1944, 23 résistants furent fusillés dans les douves. Leurs dépouilles ne furent découvertes que longtemps après lors de la construction de la Faculté. Incarcérés à Pontaniou ils empruntèrent vraisemblablement la route du Bouguen, et franchirent eux aussi la porte Castelnau Une question reste tout de même en suspens : qui étaient les fusillés de 40 à 44 ? Espérons qu’un jour peut-être, un historien y répondra et que leurs noms iront rejoindre ceux gravés sur la plaque commémorative inaugurée récemment près de l’IUT. Les habitations… et les habitants Le quartier du Bouguen était une enclave de la ville de Brest dans un triangle limité au nord-ouest par le terrain militaire des fortifications, au sud-ouest par l’Arsenal installé dans la vallée de la Penfeld, à l’est par la vallée du Moulin Poudre. C’était essentiellement un groupe d’une trentaine de pavillons individuels parfois un étage, avec jardin pour la plupart, et d’un immeuble collectif, tout en longueur, d’un étage et sous-sol semi – habitable, avec quatre entrées, le tout constituant une vingtaine de logements. Ce n’était donc qu’un petit quartier de 200 à 250 habitants, situ dans Brest intra-muros, mais se donnant un peu des airs de ((ville la campagne.)) A part la prison, la seule habitation de la route du Bouguen, tait un café, implanté au même endroit que le café actuel. Il s’était doté, dans un hangar attenant, d’un jeu de boules en bois sur deux allées en terre battue entourées de planches. Un peu plus haut, l’emplacement du parking actuel, se dressait, sur un monticule de terre, un majestueux chêne plus que centenaire qui semblait garder l’entrée du quartier. Ce café étant le seul commerce, le lieu de ravitaillement le plus proche était l’Harteloire et, au-delà, les halles Saint-Louis et les commerces du centre ville. Les déplacements se faisaient pédestrement au moins jusqu’ la porte de la Brasserie, desservie par la ligne de tramway Lambézellec -Brest qui grimpait gaillardement la rue Portzmoguer. Il en allait de même pour les écoliers qui empruntaient, quatre fois par jour le trajet Bouguen – Harteloire et au-delà. Assister aux offices religieux, qui avaient lieu l’église Saint-Louis, paroisse dont dépendait le Bouguen, était une véritable expédition. Un escalier souterrain en deux tronçons, reliait la porte de la Brasserie au sommet de la falaise. Il débouchait peu près l’emplacement du restaurant universitaire actuel. Le tronçon supérieur a été comblé mais la partie inférieure existe toujours. La population du Bouguen n’était guère différente du reste de la population brestoise sauf, peut-être, une représentation ouvrière plus importante. Les opinions politiques, philosophiques ou religieuses étaient, il me semble, aussi diversifiées qu’ailleurs. Une majorité des habitants dépendaient de la Marine ou de l’Arsenal pour leur travail, comme beaucoup de Brestois. En fait le Bouguen bénéficiait (ou souffrait, selon les circonstances) d’un relatif isolement. Le pont Schuman n’était encore qu’un projet lointain, et la côte du Bouguen, raide, empierre, borde d’un côté par un fossé où l’eau cascadait les jours de pluie, n’était guère engageante. Pour cette raison sans doute, s’y était créer une manière de vivre particulière. Tout le monde se connaissait et l’ambiance était au respect mutuel, voir la solidarité. Un coup de main entre voisins était normal. Les jeunes organisaient leurs loisirs en commun. Grâce aux fortifications l’espace ne manquait pas. Des matches de foot étaient improvisés près de la grande poudrière. Certaines soirées ou après-midi de loisir, étaient animées. Les jeux des enfants étaient influencés par une nature très présente : chasse aux grillons (cri-cri) qui pullulaient, aux hannetons, cueillette de fleurs ou fruits sauvages : coucous, violettes, pervenches, mures, prunelles etc….Les ((grands)) organisaient des virées à vélo. Dame, après la porte Castelnau c’était la campagne, Guilers, St Renan, Le Conquet ou Portsall. Les plus jeunes avaient inventé un jeu inédit qui frôlait la compétition : ((Le Grimpé Aux Arbres)). Les arbres recouvraient les fortifications (qu’on appelaient ((Les Forts). Ceux qui étaient accessibles, ou certains d’entre eux, dans un parfait consensus, étaient classés selon la difficulté qu’ils présentaient l’escalade. Au fond de la rue de Lille les habitants du bâtiment voisin, avaient aménagé un jeu de Galoche qui se joue, je crois, avec des palets en fer. Mais ce jeu était réservé certains initiés. La manifestation collective la plus importante de l’année tait, sans conteste, le feu de Saint- Jean. Longtemps avant le 24 juin, profitant des longues soirées printanières, les jeunes coupaient des branches d’arbres, et, dans un grand nuage de poussière, les traînaient jusqu’au bas de la rue de Roubaix où elles séchaient en attendant la fête. Les enfants organisaient une collecte dans chaque maison pour acheter : pétards, feux de bengal, soleils et autres artifices de circonstance. Le soir de la St Jean, à la tombée de la nuit, devant la population rassemblée, le feu était allumé, à la grande satisfaction de tous, au tas de branchage installé au croisement des rues du Bouguen et de Roubaix. Cette vie paisible, saine et somme toute agréable, se déroulait dans l’ambiance et l’environnement créés par notre puissant voisin : l’Arsenal. (Comme l’appelait mon père bretonnant depuis sa naissance en 1889, et non pas ((arsanailh)), n’en déplaise certains ayatollah linguistes). Ou plutôt l’arsenal du fond de Penfeld qui, cette époque, était le coeur de la construction navale. Sur la hauteur, le plateau du Bouguen, était autant dire au balcon. En dessous, juste en dessous, derrière le mur qui longe la côte, la zone industrielle où se construisaient les coques des navires : l’atelier des bâtiments en fer (par bâtiments)) il faut entendre navires en fer par opposition navires en bois), Où se tracent, se découpent, se forment tôles et membrures, les deux cales de construction, dites, l’une, des croiseurs, l’autre des sous-marins, où s’effectue l’assemblage des coques. jezequel7

En haut le plateau du Bouguen, avec à gauche, la porte Castelnau, à droite, la prison.

A cette époque les coques étaient rivées. Les tôles et membrures souvent formées à la masse. On peut imaginer l’ambiance sonore dans laquelle le quartier était plongé tous les jours ouvrables. Cette ambiance nous était devenue tellement familière que nous n’y prêtions plus attention. Et puis, peut être que dans notre subconscient, nous savions que ce bruit était le bruit du travail des hommes, et que c’était bien.

Et puis le 3 septembre 1939, la France entre en guerre. Quelques jours plus tard, par un bel après-midi d’été, les sirènes d’alerte entrèrent en action, mugissement modulé à répétition d’abord, puis, après un silence, continu. Essai des sirènes, a-t-on dit. Mais qui laissait comme un malaise, une inquiétude, une angoisse. C’tait la première manifestation concrète de la guerre qui laissait présager beaucoup d’autres. Bientôt nos alliers Britanniques débarquèrent et dressèrent leurs tentes dans les douves et sur les fortifications. Je me souviens d’une chenillette anglaise dévalant la côte du Bouguen dans un épouvantable bruit de ferraille.

la débâcle, le rembarquement de nos amis anglais accompagnés de quelques volontaires français…et l’ arrivée des troupes d ’occupation, qui s’empressèrent, évidemment, de prendre possession des ouvrages militaires, dont les fortifications du Bouguen, et de les renforcer, c’est ainsi, qu’ peine arrivés, ils installèrent, vers l’extrémité est de la rue de Lille, sur une butte de terre surplombant la vallée du Moulin Poudre, une batterie de deux canons de DCA à doubles affûts qui, on ne tarda pas s’en apercevoir, tiraient par rafales de six coups. Les bombardements commencèrent dès ce moment et devinrent de plus en plus fréquents, au fur et mesure que les bâtiments de la Kriegmarine ralliaient Brest pour participer la bataille de l’Atlantique – Nord. L’occupant imagina alors, pour réduire L’efficacité des bombardements, dès le début de l’alerte, de recouvrir la ville d’un épais nuage de fumée. C’est ainsi qu’on vit un soir s’installer en haut de la rue de Roubaix et au fond de la rue de Lille des camions l’arrière desquels étaient installés trois fûts équipés d’une espèce de lance, qui se mirent cracher une fumée acide et âcre. Le lendemain, la plupart des plantations et des arbres fruitiers des jardins environnants, étaient détruits

Les séjours de nuit dans l’abri devenaient de plus en plus fréquents. On s’y rendait en courant, en évitant de respirer trop de fumigène, et espérant ne pas recevoir un éclat d’obus de DCA, éclats dont les gamins faisaient collection. A cet âge on s’adapte facilement. Même les adultes finirent par s’habituer et, fatigués par ces nuits sans sommeil, les gens préférèrent rester chez eux, essayant de dormir malgré le vacarme de la DCA toute proche. C’est ainsi que nous surprit la bombe qui détruisit la prison et provoqua des dégâts importants aux maisons du quartier.

Après ce coup de semonce,(ce n’était pas tombé loin), certaines familles jugèrent plus prudent de se réfugier la campagne. Et la vie se poursuivit ainsi, triste et morose, car, malgré les nuits blanches et les restrictions surtout alimentaires, il fallait quand même aller travailler. Le charbon faisant défaut, les hommes du quartier se regroupèrent pour déterrer de vieilles souches et les réduire en morceaux à force de coins et coups de masse, ce qui permit pendant un certain temps d’améliorer le chauffage.

Afin de se procurer des logements confortables, les Allemands réquisitionnèrent quelques maisons du quartier. Des familles furent expulses. La pression de l’occupant s’accentuait de jours en jours. Une sentinelle arme gardait la rue de Roubaix.

Avec l’entrée en guerre de Américains, les bombardements changèrent de nature. Aux bombardements en piqué de la Royal Air Force, succédèrent les bombardements de masse, à haute altitude, hors de porte de la DCA, de l’US Air Force, qui inaugura aussi le bombardement de jour. Par un samedi après-midi ensoleillé de fin 42 ou début 43, j’observais discrètement, avec un camarade, un groupe d’officiers allemands, qui s’exerçaient au tir au pistolet dans le lavoir encaissé dont j’ai parlé plus haut. L’alerte avait retenti depuis une demi-heure environ, un vrombissement croissant venait de l’ouest, accompagné du miaulement de chasseurs en piqué. Un combat aérien se déroulait au- dessus de nos têtes, la course vers l’abri le plus proche s’imposait. Les bombes commencèrent à siffler lorsque nous arrivions en haut de la rue de Roubaix, où nous vîmes la sentinelle allemande plat ventre dans le caniveau, les mains sur son casque, son fusil à ses côtés. Nous avons littéralement plongé dans la cave de la maison pendant que la fureur se déchaînait. Le bruit était assourdissant, surtout quand la DCA voisine prit part au concert. La maison tremblait, la porte de la cave, qui donnait sur l’extérieur et coinçait le plus souvent, n’arrêtait pas de s’ouvrir, poussée par le souffle des bombes. Et le calme revint, brusquement. Nous sortîmes prudemment. La maison qui se trouvait l’angle de la rue Portzmoguer et de la rue Latouche -Tréville, était en feu. Une autre bombe était tombée quelques mètres d’un des canons de DCA, mais, (hélas), ne trouvant que de la terre meuble n’avaient éclaté qu’en contre- bas.

Ce type de bombardement se poursuivit plusieurs samedis de suite, ce qui a peut-être influencé la décision des autorités municipales d’évacuer les écoles de Brest. Et c’est ainsi que le Lycée se retrouva à Daoulas, la Croix rouge Landrévarzec, les Apprentis de l’Arsenal à Pont – de – Buis, Le Collège St Louis Scaër etc… et Brest sans enfants d’âge scolaire jusqu’en fin 44.

  D’après des témoins présents pendant le siège de Brest en septembre 44, le Bouguen fut relativement épargné jusqu’aux derniers jours qui précédèrent la reddition des troupes allemandes.Une résistance ultime s’organisa à parti de la batterie de DCA qui attaqua, tirs tendus, les Alliés pénétrant dans la cité par Kérinou. Un bombardement aérien et terrestre d’une rare violence mis un terme définitif au combat. Des habitations du Bouguen, il ne restait plus rien… jezequel8

Ce qui reste du logement collectif de la rue de Lille la libration.

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L’Harteloire vue du plateau du Bouguen après la libration.

La libération de la plus part des villes de France fut vécue dans la joie et dans la fête. Ce ne fut pas le cas à Brest, bien que tout le monde éprouva un immense soulagement au départ de l’occupant et au retour de la liberté. Mais le désastre tait trop grand. Devant les maisons détruites, les larmes étaient plus fréquentes que les cris de joie. Il fallut attendre la capitulation de l’Allemagne, le 8 mai 1945 pour qu’une manifestation spontanée se déroula à Brest. Ce soir là, je vis de La ((Cité )) (qui devint plus tard Place de la Liberté), une foule immense remplissant perte de vue la rue Jean Jaurès, chacun tenant bout de bras une baguette de poudre allume. Une mer de feu qui criait sa joie : La guerre est finie ! La guerre est finie !!!

Le bilan de la catastrophe établi, les responsables de la cité, politiques ou administratifs, se trouvèrent, on l’imagine aisément, face des problèmes gigantesques. Il s’agissait ni plus ni moins que de rebâtir une ville entière. Ils prirent alors d’importantes décisions : Construire une ville provisoire pour loger sur place le personnel nécessaire la reconstruction et la remise en marche de l’Arsenal et tous les acteurs économiques indispensables. Pour réaliser ce programme, il fallait trouver des terrains disponibles, c’est—dire publics. Parmi les surfaces appartenant l’Etat, les fortifications étaient les plus importantes. Après accord des autorités concernées, il fut donc décidé de les raser. Cette décision fut par la suite critique par certains. Mais il fallait choisir entre la préservation d’un patrimoine architectural et historique intéressant, et l’urgence de reloger une population nécessaire la résurrection de la ville.

Et c’est ainsi qu’une ville de baraques apparut l’emplacement des fortifications nivelées. Il en fut de même pour le terrain de la prison où furent construit un ensemble de baraques américaines qui prit nom de Bouguen – Est ! .Quant au quartier lui-même il déblaya ses ruines et entreprit de réparer les rares maisons réparables et, petit à petit, de se reconstruire. Cependant le nivelage des fortifications eut pour conséquence d’ouvrir le quartier sur l’extérieur, vers cette ville provisoire à laquelle il finit par s’intégrer. Une pharmacie, en baraque naturellement, vint même s’installer en haut de la rue de Roubaix

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La poterne et le début des baraques

Vint enfin, après de longues années d’existence, la disparition progressive des baraques, remplacées par les bâtiments modernes de la Faculté. Et le Bouguen, après avoir été un temps ouvert sur l’extérieur, se retrouva de nouveau enclavé, cette fois-ci par le Savoir, la Science et la Recherche. Comme avant guerre, deux voies s’ouvrent vers le nord. L’une, pitonne, par le quartier étudiant de l’est, lui donne accès au pont Schuman et St Martin, l’autre, par la rue du Bouguen lui ouvre le chemin de la ville nouvelle de Bellevue laquelle elle est désormais intégrée. Ainsi va la vie, ainsi va l’Histoire.

Louis Jézéquel

Rue de Roubaix, octobre 2004

 

Photos aimablement prêtées par monsieur Georges Sandoz

jezequel11 LE BOUGUEN…Souvenirs : Quelques précisions obtenues après la rédaction du texte initial. Un habitant de la rue de Roubaix, évacué avec quelques irréductibles le 14 août 44, apporte un témoignage vécu qui permet de préciser certains points du récit Les fusillés de 1944 : Fin 43 ou début 44, l’occupant, envisageant une possible attaque de la citadelle brestoise par voie de terre, décida de fermer, côté douve, par des murs de béton, les tunnels de la porte Castelnau et de l’abri côté Moulin Poudre (voir §1) .Ceci au grand dam des usagés qui ne se sentaient plus en sécurité dans un abri à une seule issue. Conséquence de cette décision : l’accès aux douves par la porte Castelnau n’étant plus possible, les exécutions eurent lieu désormais dans le stand de tir, situé, non loin de l, l’intérieur des fortifications, où furent dressés les poteaux d’ exécution. Le père de ce témoin, alors chef de bureau la mairie, lui a confié que l’occupant exigeait la présence du maire de Brest, monsieur Euzen, à ces exécutions Les canons de D C A : En fait ces deux pièces anti-aériennes, ainsi que les fumigènes, furent enlevées au début de l’année 44 .Lorsque les premiers réfugiés revirent, après la reddition le 18 septembre, pour constater le désastre, ils aperçurent un canon de 88, au blindage perforé à la place qu’avait occupé l’un des canons de D C A.

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